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Économie

Pas facile de s'y retrouver

Jacques Parizeau, économiste et auteur

On compare souvent à tort la crise actuelle à celle de 1929. C'est vrai qu'à cette époque une crise bancaire avait donné le signal de la débandade. C'est vrai que la Bourse s'était effondrée. Mais la dégringolade de la finance avait entraîné celle de l'économie. C'est ainsi qu'à Montréal, en 1933, le tiers de la population active était au chômage. Cela n'a aucun rapport avec ce qui se passe aujourd'hui. Les programmes sociaux (assurance-emploi, aide à la famille, pensions de vieillesse, aide sociale, etc.) établissent comme un filet de revenu qui maintient un certain niveau de consommation, donc, d'activité économique. Lancer des programmes de relance ne fait plus peur. En somme, la finance peut s'écrouler; cela peut entraîner une récession, mais ce n'est rien d'analogue à ce qu'on voyait autrefois. Il y a récession, mais pas dépression.

Le vent de folie

La crise financière et bancaire actuelle n'a cependant pas de précédent. On a de la difficulté à comprendre ce qui se passe, donc, ce qu'il faut faire. Les institutions financières ont créé des sommes gigantesques, des milliers de milliards de dollars de titres de dettes. Les banques, dont le rôle était de faire crédit aux entreprises et aux consommateurs pour financer la production, se sont mises à effectuer des opérations financières qui n'avaient plus beaucoup de rapport avec la production de biens et de services.

Les historiens qui se pencheront sur ce début du XXIe siècle s'étonneront du vent de folie qui a soufflé sur le monde financier et n'en reviendront pas d'apprendre, par exemple, que le système a pu permettre à un jeune homme inconnu d'engager tout seul la banque où il travaillait pour des dizaines de milliards de dollars (la Société générale, à Paris).

L'effondrement d'une bonne partie du système bancaire, en réduisant radicalement son capital, a diminué considérablement sa capacité de prêter, c'est-à-dire de fonctionner. Une récession devait forcément s'ensuivre, touchant l'ensemble du monde. Pour rétablir la situation, les gouvernements ont dû fournir des sommes énormes. Pour atténuer l'indignation publique à l'égard de ce qui semblait récompenser l'incompétence et la cupidité, certains gouvernements sont devenus actionnaires des banques cédées.

Au Canada, où la situation n'a pas été aussi dramatique, et de loin, on a néanmoins autorisé le pompage de près de 150 milliards de dollars dans le secteur bancaire. Et, comme ailleurs, les gouvernements se sont attelés à la relance de l'économie avec les mêmes instruments : programmes de travaux publics, programmes de dépenses ciblées, baisses d'impôt, prêts ou subventions aux entreprises, etc.

Mais, pour que cela soit efficace, il faut le faire de la bonne façon. La pratique soutenue du néolibéralisme et la neutralisation des rouages de l'État ont fait oublier aux gouvernements la manière de procéder.

Et au Québec

De décembre 2007 à décembre 2008, le nombre d'emplois au Québec n'a pas augmenté. La première tâche aurait dû être d'ouvrir tout grand le robinet des garanties de prêts aux entreprises. Le Québec est très bien équipé, pourtant. Investissement Québec, avec l'aide de la Banque de développement du Canada, pourrait bouger très rapidement. Les autorisations ont fini par venir tard, et elles ont été insuffisantes. De son côté, la Caisse de dépôt et placement est empêtrée dans des crises financières et, de toute façon, le gouvernement est fier de ne pas lui donner d'instructions. En fait, on ne sait plus très bien comment se servir des instruments qu'on a créés autrefois.

Un programme d'accélération des investissements peut être très efficace. Il peut s'appliquer aussi bien au secteur privé qu'au secteur public. On peut s'en servir pour moderniser les équipements et les laboratoires, ou pour maintenir en vie des canards boiteux. L'important, c'est le renseignement. Qu'est-ce qui est prêt, mais qui a été retardé à cause de la récession? Qu'est-ce qui est mis sur une tablette depuis longtemps, faute de crédits?

Quant aux baisses d'impôt, pour avoir un effet d'accélération sur l'économie, il faut qu'elles soient temporaires, ciblées et substantielles. Tout le contraire de ce qui a été fait.

Et, finalement, il faut que les deux gouvernements s'entendent. Il est puéril que les deux programmes de rénovation de maisons soient si différents; c'est dommage d'entraîner une telle confusion.

Après le 11 septembre 2001, on s'attendait à une grave récession en Amérique du Nord. Le gouvernement du Québec a immédiatement déclenché un programme de relance. En 2002, il s'est créé 118 000 emplois au Québec, le deuxième plus haut niveau depuis que des données sont compilées à ce sujet.

En somme, ça peut marcher, mais il faut plus que de bonnes intentions. Il faut savoir comment faire.